Sous un ciel gris et chargé, la pluie s’abat sans relâche sur les collines escarpées qui encerclent Goma. Dans cette ville stratégique de l’est de la République démocratique du Congo, désormais contrôlée depuis plus de deux mois par les rebelles du M23, l’atmosphère est lourde. Mais ce n’est pas seulement la météo qui pèse sur les épaules de Joseph Muhindo, trentenaire et père de quatre enfants. « Trois semaines sans pouvoir retirer un franc. Même les transferts d’argent ne passent plus », souffle-t-il, trempé et amer, en quittant bredouille l’entrée barricadée d’une agence bancaire.
Le cœur financier à l’arrêt

Depuis la suspension officielle des activités de la Banque centrale du Congo dans la province du Nord-Kivu – une décision prise par Kinshasa dans le cadre d’une politique d’asphyxie financière des zones occupées – Goma vit une crise de liquidités sans précédent. Les distributeurs automatiques sont à l’arrêt, les guichets fermés, et les commerçants rechignent à accepter les transferts mobiles, faute de pouvoir encaisser. L’économie locale, déjà fragilisée par des années de conflit, s’effondre un peu plus chaque jour.
Un M23 aux abois ?

Acculé par cette pression financière, le M23 tente une manœuvre audacieuse : créer ses propres institutions financières. Des « caisses populaires » improvisées ont récemment vu le jour, opérées par des proches du mouvement rebelle, avec un objectif clair : rétablir un minimum de flux monétaires dans les quartiers sous leur coupe. Une décision qui, selon certains observateurs, révèle autant la volonté du groupe armé de s’ancrer durablement dans le tissu local que son embarras face à la grogne populaire.
« C’est une fuite en avant », commente un expert congolais basé à Nairobi, sous couvert d’anonymat. « Ils cherchent à faire croire qu’ils peuvent gérer un territoire, mais la confiance des populations est érodée. » Dans les marchés de Katindo ou de Virunga, les vendeurs n’acceptent désormais que le troc ou les devises étrangères, en particulier le shilling ougandais et le franc rwandais.
Kinshasa joue la montre

À Kinshasa, les autorités gardent le cap. En choisissant de couper les vivres à Goma, elles espèrent étouffer une administration parallèle en gestation. Mais cette stratégie n’est pas sans coût pour les habitants restés sur place. Dans les hôpitaux, les ruptures de stocks se multiplient. Les fonctionnaires locaux, non évacués à temps, n’ont plus touché leur salaire depuis janvier. Et la tension monte.
Le piège de l’enlisement

Alors que les diplomaties régionales peinent à relancer les pourparlers de Luanda et de Nairobi, la situation à Goma illustre une impasse redoutable. Ni le M23, pourtant soutenu selon plusieurs sources onusiennes par le Rwanda, ni le gouvernement congolais ne semblent prêts à céder. Pendant ce temps, c’est la population civile qui paie le prix fort d’un bras de fer à double tranchant.
Dans les ruelles boueuses de Goma, une vieille femme résume d’une phrase le sentiment général : « Ils se battent pour la terre, mais ils nous laissent sans pain. »