N’Djamena – Le rideau vient à peine de tomber sur une série de décrets présidentiels qui font vaciller les fondations du pouvoir au Tchad. En moins d’une semaine, une dizaine d’officiers supérieurs issus du sérail sécuritaire ont été radiés sans ménagement par le président Mahamat Idriss Déby Itno. Tous pour “faute grave”. Tous, ou presque, Zaghawa – ce clan qui gouverne le Tchad depuis 1990 avec une main de fer et une discrétion de velours.
Fracture interne : le clan Zaghawa à l’épreuve du feu

Ce que les communiqués officiels ne disent pas, la rumeur le hurle à gorge déployée dans les rues sablonneuses de N’Djamena : c’est une véritable purge qui s’opère au cœur du pouvoir. À l’origine, une guerre qui ne dit pas son nom – celle qui ensanglante le Soudan depuis deux ans, et qui réveille les vieux démons transfrontaliers. Des fractures historiques, ethniques et politiques qui percent aujourd’hui la cuirasse du clan Zaghawa.
Parmi les radiés figure le général Abdelrahim Bahar Mahamat Itno, cousin du chef de l’État, ancien patron de la garde présidentielle et pilier de la galaxie Déby. Sa disgrâce ? Des propos virulents en langue Zaghawa, échappés dans des groupes communautaires numériques, dénonçant la gestion actuelle du pouvoir. Le message est clair : les critiques, même dans la langue du clan, même en famille, ne seront pas tolérées.
Un président entre ombres familiales et tempêtes régionales

Mahamat Déby, propulsé à la tête de l’État par une junte militaire à la mort de son père en 2021, puis élu en 2024 dans une présidentielle jugée verrouillée, est désormais confronté à son premier grand test de cohésion nationale et clanique. Ce jeune général-président doit composer avec un clan Zaghawa aux multiples visages, dont certains lorgnent de plus en plus vers l’Est, vers un Soudan en flammes, où les allégeances se redessinent.
Selon plusieurs sources diplomatiques, des officiers tchadiens seraient soupçonnés de livrer des armes aux Forces de Soutien Rapide (FSR) soudanaises via les Émirats arabes unis – ce que dément fermement le gouvernement tchadien. Mais la suspicion fait son chemin, d’autant plus que dans les rangs adverses, certains Zaghawa du Soudan – cousins des Tchadiens – ont choisi le camp de l’armée régulière soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane.
Ousman Dillo, spectre de la rébellion zaghawa

Le nom qui fait frémir N’Djamena aujourd’hui est celui d’Ousman Dillo. Frère cadet du feu Yaya Dillo Djérou, opposant charismatique abattu en 2024 dans des conditions controversées, Ousman mène une rébellion active depuis El-Facher, au Darfour. Il incarne une possible résurgence des insurrections transfrontalières, comme celle de 2008, quand une coalition rebelle – principalement zaghawa – avait failli faire chuter Idriss Déby père. À l’époque, l’armée française avait sauvé la présidence in extremis.
Une stabilité en équilibre précaire

Mahamat Déby, fin tacticien formé entre blindés et négociations, semble avoir opté pour une reprise en main brutale mais nécessaire. Radiations, révocations, silences pesants : le président joue la carte de l’autorité, quitte à se couper d’une frange de son propre clan. Mais pour combien de temps ? Le spectre d’une scission zaghawa, dans un pays où les équilibres ethniques et militaires sont si délicats, pourrait faire vaciller ce pouvoir forgé dans les cendres du père.
En toile de fond, la guerre au Soudan voisin continue d’embraser une région fragilisée. Avec plus de 11 millions de déplacés, une famine annoncée, et des milices qui franchissent sans peine les frontières poreuses, le Tchad devient à la fois refuge, acteur et champ de bataille d’un conflit qui n’épargne personne.
Et Mahamat Déby, sur le fil du rasoir, devra choisir : préserver son trône ou apaiser son clan. À moins que les deux ne soient déjà perdus.