Le 3 mai 2025 restera, qu’on le veuille ou non, un jour d’espérance dans l’histoire contemporaine du Gabon. En prêtant serment, Brice Clotaire Oligui Nguema n’accomplit pas l’« apothéose d’un coup d’État constitutionnel » comme le clament avec emphase certains esprits chagrins ; il parachève au contraire une transition longue, périlleuse mais souverainement assumée par les Gabonais.
Que des juristes hors-sol, nourris à la rhétorique des manuels occidentaux, crient au chaos institutionnel est leur droit. Mais il est temps de remettre les pendules gabonaises à l’heure gabonaise. La Transition, faut-il le rappeler, n’était pas une promenade de santé. Elle était l’opération complexe de sauvetage d’un État délégitimé par un demi-siècle de confiscation dynastique.
Les puristes du droit, déconnectés du réel

L’argument selon lequel la Cour constitutionnelle de la Transition serait « incompétente » pour recevoir le serment du Président élu repose sur une lecture étriquée et formaliste des textes. À les entendre, il aurait fallu attendre que toutes les institutions soient alignées comme des pions sur un échiquier parfait avant de bouger un seul doigt. Mais le Gabon, pays vivant, n’a pas le luxe d’une transition suspendue dans le vide juridique.
La Constitution de 2024, comme toute loi fondamentale de sortie de crise, contient nécessairement des zones grises, des passerelles, des aménagements pratiques. L’article 172 prévoit l’application progressive des nouvelles institutions. La cérémonie du 3 mai s’inscrit donc dans cette dynamique : consolider l’autorité présidentielle d’abord, pour mieux structurer l’édifice constitutionnel ensuite.
Vouloir appliquer la perfection théorique d’un traité universitaire à un État en transition, c’est comme exiger d’un blessé de courir un marathon avant même que ses plaies ne soient pansées.
La Transition, chemin assumé vers la normalité

Ceux qui dénoncent une « transition inversée » feignent d’oublier que le Gabon a d’abord eu besoin de retrouver une boussole politique : un chef légitime, élu par le peuple. Sans Président sorti des urnes, aucune législature ne pouvait être sérieusement renouvelée. Sans légitimité présidentielle, comment fonder un nouveau Parlement ? Sur quels fondements renouveler la Cour constitutionnelle ? Croire le contraire, c’est confondre l’idéalisme constitutionnel avec le pragmatisme politique nécessaire.
Oui, le Parlement et la Cour de Transition poursuivent provisoirement leur mandat. Oui, il faudra les rénover. Mais faut-il jeter l’État en pâture à l’instabilité au motif que toutes les pièces du puzzle ne sont pas encore assemblées ?
La hiérarchie des normes au service du peuple, pas contre lui

Quant au prétendu « vide vertigineux » du contrôle de constitutionnalité, il relève d’un alarmisme de salon. Dans tous les États en mutation, il existe des moments où les institutions se reconfigurent par étapes. L’essentiel est que la volonté populaire, manifestée par les urnes, reste la pierre angulaire du processus.
Brice Clotaire Oligui Nguema ne gouvernera pas dans l’arbitraire. Il gouvernera sous le regard du peuple, des corps constitués provisoires, et surtout sous la vigilance d’une société gabonaise réveillée. La peur d’un pouvoir sans contrôle est une crainte légitime. Mais le remède n’est pas d’annuler la dynamique démocratique, c’est de l’accompagner intelligemment, avec confiance dans les forces vives nationales.
Le vrai danger : l’immobilisme et le perfectionnisme stérile

À trop crier au loup institutionnel, certains oublient que l’Histoire est mouvement. La véritable crise aurait été l’enlisement : une transition sans fin, une paralysie constitutionnelle pendant que la misère s’aggrave, que la jeunesse désespère et que les ambitions légitimes d’un peuple trahi pendant des décennies sont piétinées.
Le Gabon a fait un pari courageux : avancer, quitte à ajuster les institutions au fil du chemin. C’est un pari de responsabilité, pas de chaos. Ceux qui appellent au purisme constitutionnel aujourd’hui, en bons donneurs de leçons, oublient que la stabilité, la légitimité populaire et la restauration de l’autorité étatique sont des conditions préalables à toute grande refondation institutionnelle.
Le 3 mai, c’est donc l’acte de foi d’un peuple en sa propre capacité à se gouverner librement, pas la signature d’un forfait juridique.
Brice Clotaire Oligui Nguema entre dans l’Histoire non pas par effraction, mais par la grande porte des suffrages populaires. À ceux qui contestent ce mouvement, il ne reste que l’écho nostalgique de leurs prophéties avortées. https://shs.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2024-2-page-117?lang=fr