Dénonciations en démentis, l’imbroglio des 100 000 de Maroua
Maroua, cité poussiéreuse et stratégique de l’Extrême-Nord camerounais, bruisse de rumeurs et d’indignations. Le projet d’une mobilisation de « 100 000 jeunes » en faveur de Paul Biya, doyen des chefs d’État africains au pouvoir, agite l’opinion, fracture le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) et électrise la société civile. L’événement, annoncé pour le 10 mai prochain, devait initialement consacrer une démonstration de force du parti au pouvoir dans une région historiquement acquise au président. Mais, entre dénonciations internes, malaises institutionnels et rejet citoyen, la manœuvre ressemble de plus en plus à un ballon d’essai en perdition.
Une initiative controversée

Derrière l’organisation de cette démonstration de loyauté se trouve Cavayé Yéguié Djibril, président vieillissant de l’Assemblée nationale et figure tutélaire du régime dans le Septentrion. À ses côtés, son influent directeur de cabinet, réputé pour sa gestion musclée des réseaux politiques locaux. C’est dans ce binôme que certains cadres du RDPC situent l’origine de l’initiative – une mobilisation « spontanée » de la jeunesse pour réclamer une nouvelle candidature de Paul Biya, 91 ans, pour l’élection présidentielle prévue en octobre 2025.
Mais dans les rangs du parti au pouvoir, tous ne chantent pas à l’unisson. Plusieurs barons régionaux, tenus à l’anonymat par crainte de représailles, dénoncent une instrumentalisation politicienne de la jeunesse. « Cette mascarade ne sert qu’à flatter l’ego de certains caciques. Elle n’a rien à voir avec une véritable dynamique politique », confie un député du RDPC du Nord.
Jeunesse mobilisée ou manipulée ?

Dans les rues de Maroua, la société civile gronde. ONG, leaders communautaires et activistes s’inquiètent d’une mobilisation téléguidée qui risque de détourner les jeunes de leurs vraies préoccupations : l’emploi, l’éducation, la sécurité dans une région frontalière marquée par l’insécurité chronique. « On ne peut pas clamer vouloir l’unité nationale tout en divisant les jeunes sur des bases politiques », martèle un responsable d’association locale.
Sur les réseaux sociaux, des vidéos d’élèves et d’étudiants, supposément réquisitionnés pour l’événement, ont fait le tour de la toile, alimentant la colère. Le mot d’ordre ? #PasEnMonNom. Un hashtag devenu viral et symbole d’une jeunesse qui refuse d’être réduite à une masse d’appoint électoral.
Démentis et confusion

Face au tollé, les proches de Cavayé Yéguié Djibril multiplient les démentis. « Il ne s’agit pas d’un meeting politique, mais d’un forum civique pour la jeunesse », a déclaré son directeur de cabinet sur une radio locale. Une communication floue qui ne convainc pas les observateurs. « Tout cela montre les fractures internes du régime et l’usure du système Biya », analyse un politologue de l’université de Ngaoundéré.
Un avant-goût des tensions à venir ?

À six mois d’une présidentielle cruciale, le feuilleton des « 100 000 de Maroua » révèle plus qu’une simple querelle d’agenda : il expose les tensions, les calculs et les incertitudes au sein du régime camerounais. Paul Biya, silencieux comme à son habitude, n’a pas encore officialisé sa candidature. Mais dans les coulisses du pouvoir, les clans s’agitent, les ambitions s’entrechoquent, et chaque manifestation devient un test de loyauté.
Reste à savoir si le 10 mai, Maroua vibrera réellement au rythme de 100 000 voix ou si l’événement rejoindra la longue liste des opérations avortées d’un pouvoir en quête de légitimité renouvelée.