Par un maître du verbe africain, témoin des grands destins.Il est des moments où l’histoire s’écrit sans tambour ni trompette. Le soleil s’est levé doucement sur Libreville ce mois de janvier 1980, sans savoir qu’il allait réchauffer un hôte que l’Afrique attendait sans le dire, mais dont elle portait le nom dans sa mémoire depuis longtemps : Robert Nesta Marley, alias Bob Marley, le prophète rasta, l’âme du reggae, la voix des opprimés.
Ce jour-là, Libreville ne savait pas encore qu’elle accueillait une légende. Et pourtant, le vent sur l’Atlantique chantait déjà Redemption Song.
Quand Marley frôle la terre-mère

Bob Marley arrive au Gabon à l’invitation de la famille présidentielle. Albertine Bongo, passionnée de musique, l’accueille avec ferveur. Il est accompagné de son épouse Rita Marley et de ses musiciens. Loin des projecteurs, la star jamaïcaine trouve à Libreville un havre de paix et un écho profond à son combat. Pour lui, cette visite n’est pas une simple escale : c’est un pèlerinage vers la matrice africaine, un rendez-vous mystique.
Libreville, alors capitale paisible et prospère, baigne dans une chaleur tropicale et une tranquillité surveillée. Le pays vit sous le régime d’Omar Bongo, dont le pouvoir est sans partage. Mais la ville, cosmopolite et hospitalière, s’ouvre grand à cet hôte venu d’ailleurs, porteur d’un message universel.
Bob Marley découvre les quartiers populaires, les rives du Komo, les percussions fang et les regards curieux. Il s’imprègne. Il écoute. Il sent que l’Afrique l’appelle. Dans les confidences qu’il échange avec les siens, il parle déjà de revenir. Pour s’installer. Pour enregistrer. Pour bâtir un pont entre la Jamaïque et l’Afrique.
Des concerts improvisés, des cœurs conquis

Durant ce séjour, Bob Marley monte sur scène à Libreville, au Palais présidentiel, lors d’une prestation restée confidentielle, presque mythique. Peu de Gabonais assistent à l’événement, réservé à une élite triée sur le volet. Mais ceux qui y étaient n’oublieront jamais l’énergie, les dreadlocks, la guitare qui pleure, et cette voix rauque qui transperce les murs.
C’est aussi au Gabon que Rita Marley tombera amoureuse de l’Afrique, sentiment qui l’amènera, plus tard, à s’installer sur le continent, notamment au Ghana.
L’Afrique comme ultime horizon

Après Libreville, Marley met le cap sur l’Éthiopie, la terre promise des rastas. Mais le Gabon restera son premier véritable contact avec l’Afrique, la porte d’entrée symbolique d’un retour à la source. Ce voyage sera l’un des derniers grands déplacements de sa vie, avant que la maladie ne l’emporte un an plus tard, en mai 1981.
Libreville, témoin silencieuse d’un passage sacréAujourd’hui encore, peu de traces matérielles subsistent de cette visite. Aucun monument, aucun disque, aucune plaque. Et pourtant, ce séjour vit dans les mémoires, dans les récits murmurés des anciens, dans les regards brillants de ceux qui “l’ont vu de loin”.
Car Marley n’est pas venu à Libreville en star. Il y est venu en fils prodigue, en pèlerin des âmes noires, en messager d’un avenir libre. Et l’Afrique, à travers le Gabon, lui a répondu par un frisson discret, mais inoubliable.—Janvier 1980 : Bob Marley frôlait Libreville.Mai 1981 : le monde perdait son prophète.
Mai 2025 : l’Afrique s’en souvient, comme d’un songe devenu serment.