Dans un hémicycle solennel mais à l’ambiance feutrée, les parlementaires togolais ont écrit une page d’histoire : en ce 3 mai 2025, Jean-Lucien Savi de Tové, 85 ans, ancien prisonnier politique, opposant inflexible de la dynastie Gnassingbé, puis ministre malgré lui, a été élu premier président de la Cinquième République. Un titre qui claque, mais un pouvoir qui s’efface.
L’homme d’État, entre blessures et résilience

Juriste formé à Bordeaux, intellectuel rigoureux et homme de principes, Jean-Lucien Savi de Tové n’a jamais cessé d’incarner cette figure rare en Afrique : celle du survivant intègre. À l’orée des années 80, il croupissait dans les geôles de Lomé, accusé de tentative de coup d’État contre le général-président Gnassingbé Eyadéma. Il en ressortira dix ans plus tard, vieilli, amaigri, mais debout. Il refusera l’exil et choisira la route escarpée de la réconciliation politique sans reniement.
On l’a dit inflexible, parfois solitaire. Mais lorsque le multipartisme devient une réalité au Togo, c’est lui qui fonde le Parti des Démocrates pour l’Unité, prélude à une fusion plus large dans la CPP. Ministre sous Faure Gnassingbé entre 2005 et 2007, il accepte sans illusion mais avec sens des responsabilités. « Il ne s’agissait pas d’un ralliement, mais d’un devoir », glissait-il à la presse en 2006.
Une présidence vidée de son jusAujourd’hui, c’est un fauteuil présidentiel réduit à sa plus simple expression qui lui est offert. Le pouvoir exécutif réel revient désormais au président du Conseil des ministres — un poste taillé sur mesure pour Faure Gnassingbé, lui-même président depuis 2005 et artisan d’une réforme constitutionnelle largement contestée.
Cette Cinquième République, consacrée par une majorité écrasante à l’Assemblée (89 voix pour, une contre), acte la mue du Togo vers un régime parlementaire. Une évolution institutionnelle qui, pour beaucoup d’observateurs, ressemble à une subtile opération de conservation du pouvoir sous de nouveaux habits.
Symbole ou caution ?

Jean-Lucien Savi de Tové a-t-il été choisi pour rassurer l’opinion, donner une façade de pluralisme à un système verrouillé ? La question brûle les lèvres à Lomé. Son élection, au terme d’un vote parfaitement orchestré, est vécue comme un hommage national à une figure historique. Mais elle interroge aussi : que peut un président sans pouvoir réel ? Que vaut une réconciliation politique sans justice ni alternance ?
L’opposition parle d’un « théâtre constitutionnel ». Les plus cyniques murmurent que c’est « le plus beau cadeau empoisonné de l’histoire politique togolaise ». Mais dans les rues de Lomé, nombreux sont ceux qui saluent « le vieux » — comme on l’appelle affectueusement — pour sa constance et sa dignité.
La mémoire comme dernier pouvoir
Peut-être est-ce là, finalement, le vrai rôle de Jean-Lucien Savi de Tové : non pas gouverner, mais incarner. Dans un Togo où le pouvoir rime souvent avec brutalité et immobilisme, son élection sonne comme un rappel : la mémoire des luttes n’est pas vaine. Et dans un fauteuil vide de pouvoir, il reste encore la force du symbole.