Enquête sur un quart de siècle de troubles et de guerres en Afrique centrale
Par Prince Bertoua, pour Africacoeurnews
La République démocratique du Congo est en guerre. Encore une fois. Depuis plusieurs mois, la présence militaire rwandaise, sous couvert du M23, ravage l’Est du pays, mettant en péril la stabilité d’une région déjà ensanglantée par des décennies de conflits. Mais cette énième invasion trouve-t-elle son origine dans un épisode plus lointain, celui de l’assassinat en janvier 2001 de Laurent-Désiré Kabila ? Une disparition brutale qui, plus de 20 ans après, semble encore hanter la RDC et éclairer sous un jour nouveau la stratégie régionale de Paul Kagame.
1997 : Un pacte brisé entre Kagame et Kabila

L’histoire récente du Congo est indissociable de celle du Rwanda. En 1996, les Forces armées rwandaises, sous le commandement de Paul Kagame, alors vice-président et ministre de la Défense, renversent Mobutu Sese Seko en soutenant la rébellion de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), dirigée par un certain Laurent-Désiré Kabila. Ce dernier est installé au pouvoir à Kinshasa en mai 1997.
Mais ce mariage de raison entre Kigali et Kinshasa tourne court. Une fois solidement installé, Kabila se rebiffe. Il chasse les officiers rwandais de l’armée congolaise et tente d’émanciper son régime de l’influence de Kagame. Cette rupture brutale déclenche la Deuxième Guerre du Congo (1998-2003), qui voit le Rwanda et l’Ouganda envahir la RDC.
Kabila père résiste tant bien que mal, jusqu’à ce jour fatidique du 16 janvier 2001. Un de ses gardes du corps, Rashidi Mizele, l’assassine dans son bureau, officiellement pour des raisons encore floues. Mais de nombreux indices pointent vers une orchestration plus vaste, impliquant aussi bien des puissances étrangères que des ennemis internes.
2001-2024 : Paul Kagame, le stratège patient

La disparition de Laurent-Désiré Kabila profite d’abord à Kigali. Son fils, Joseph Kabila, lui succède et adopte une posture plus conciliante à l’égard du Rwanda, favorisant l’accalmie. Mais cette accalmie n’a qu’un temps. En 2012, le Rwanda soutient la rébellion du M23, une milice tutsi qui reprend Goma avant d’être repoussée par l’armée congolaise avec l’appui de la communauté internationale.
Dix ans plus tard, en 2022, le M23 refait surface, mieux équipé et structuré, avançant jusqu’aux portes de Goma. Le timing n’est pas anodin. Félix Tshisekedi, qui a rompu avec la tradition de conciliation de son prédécesseur, refuse de plier face à Kigali et renforce les alliances régionales contre le Rwanda. En réponse, Paul Kagame réactive son levier militaire dans l’Est de la RDC, s’appuyant sur les mêmes méthodes utilisées contre Kabila père en 1998.

Le spectre de 2001 plane sur 2024L’actuelle guerre menée par Kigali sur le sol congolais semble donc être la continuité d’un plan entamé il y a plus de 25 ans. L’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, loin d’être un simple coup du sort, pourrait avoir été une étape nécessaire pour affaiblir durablement la RDC et maintenir une instabilité chronique favorisant les intérêts stratégiques du Rwanda.
Paul Kagame, maître dans l’art de la guerre asymétrique, applique la même recette : infiltrer, diviser et exploiter les ressources d’un pays plus grand mais politiquement fragile. La question n’est plus seulement de savoir si cette nouvelle offensive rwandaise est une répétition de 1998, mais si elle est l’aboutissement d’un plan patiemment exécuté depuis la chute de Mobutu.
Les Congolais, eux, se demandent combien de temps encore leur pays restera l’échiquier des ambitions étrangères. Et surtout, qui mettra fin à la partie ?