Lomé, 3 mai 2025. Sous les applaudissements feutrés d’un cercle restreint d’initiés, dans une capitale placée sous haute surveillance, Faure Gnassingbé a franchi ce samedi un pas décisif dans la consolidation d’un pouvoir déjà sans partage. En prêtant serment en tant que président du Conseil des ministres, une fonction nouvellement taillée à sa mesure, il scelle son emprise sur le Togo, près de 20 ans après avoir succédé à son père à la tête de ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Une réforme contestée, un fauteuil sur mesure

Depuis l’adoption controversée de la nouvelle Constitution en avril dernier, les opposants n’ont cessé de dénoncer un « coup d’État institutionnel ». Et pour cause : cette réforme majeure enterre l’élection du président de la République au suffrage universel, supprime le poste de Premier ministre et fait du président du Conseil des ministres – désormais la plus haute autorité exécutive – un dirigeant choisi par les députés. Or, avec une Assemblée acquise à son parti, Faure Gnassingbé s’est fait désigner sans surprise, verrouillant tout l’appareil d’État dans une étreinte quasi monarchique.
Des voix qui s’élèvent malgré les bâillons

Nathaniel Olympio, l’un des rares leaders de l’opposition encore actif malgré les intimidations, parle d’un « viol orchestré de la conscience de chaque Togolais ». Dans un pays où les mobilisations populaires sont souvent réprimées, le Front Touche pas à ma Constitution appelle pourtant à un rassemblement à Lomé. Une audace qui pourrait bien réveiller les fantômes de 2005, lorsque l’arrivée au pouvoir du fils Gnassingbé avait déjà plongé le pays dans une violente crise post-électorale.
Un pouvoir militaro-parlementaire verrouillé

« Le Togo est fort avec Faure », scandaient ses partisans brandissant pancartes et slogans devant le palais, pendant que les forces armées renouvelaient leur allégeance à celui qu’elles appellent désormais « chef suprême ». Fort d’une victoire écrasante aux législatives d’avril – 108 sièges sur 113 – et d’un Sénat largement conquis (34 sièges sur 41), le régime n’a laissé aucune place à l’alternance. Les élections municipales prévues pour le 10 juillet prochain seront le prochain test démocratique, que les partis d’opposition promettent de ne pas boycotter, malgré la méfiance.
Le retour du régime parlementaire, ou la renaissance d’un règne à vie ?
Officiellement, le Togo adopte un régime parlementaire. Officieusement, il vient d’inventer une présidence exécutive sans contrepoids. Faure Gnassingbé, qui assurait en 2020 à l’AFP « ne pas se sentir l’âme d’un dictateur », entre aujourd’hui dans une ère inédite : celle d’un règne sans limite constitutionnelle, où les urnes semblent désormais reléguées au rang de formalité.
Une dynastie enracinée, un peuple désenchanté
Depuis 1967, les Gnassingbé tiennent les rênes du Togo. 58 ans plus tard, l’alternance semble plus lointaine que jamais. Dans les rues de Lomé, entre résignation, colère et silence contraint, un vent de frustration grandit. « On a volé notre avenir, encore », murmure une jeune étudiante rencontrée à l’université de Lomé, refusant de donner son nom. Une phrase simple, mais lourde d’une promesse : l’histoire togolaise n’a pas fini d’écrire ses pages les plus houleuses.
Une chose est sûre : le président du Conseil des ministres Faure Gnassingbé a fermé la parenthèse de la République présidentielle. Mais c’est une autre boîte de Pandore qu’il vient peut-être d’ouvrir.