De la forêt luxuriante du Congo aux sous-sols aurifères du Cameroun, en passant par les champs pétrolifères du Gabon, l’Afrique centrale regorge d’une richesse naturelle inouïe. Pourtant, l’indice de pauvreté y reste obstinément élevé. Une question brûlante demeure : comment convertir efficacement les gains tirés de l’exploitation des matières premières en une prospérité partagée et durable ?
Le paradoxe de l’abondance

« Nous sommes assis sur une mine d’or, mais nous vivons comme des mendiants », déplore un économiste camerounais sous couvert d’anonymat. Ce paradoxe de l’abondance, où l’opulence des ressources se conjugue à la misère des populations, s’explique par plusieurs facteurs : mauvaise gouvernance, opacité des contrats, corruption endémique et faible diversification économique.
Repenser la gouvernance des ressources

Pour inverser la tendance, plusieurs experts plaident pour une refonte totale de la gouvernance. Il s’agit d’abord d’exiger des contrats miniers, pétroliers et forestiers plus transparents, négociés dans l’intérêt des États et non d’une élite restreinte. « Il faut que chaque dollar tiré du sous-sol soit traçable, du puits jusqu’au dernier kilomètre rural », insiste Marie Moukéla, consultante en politiques publiques basée à Brazzaville.
La publication systématique des recettes, à l’image de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), devrait devenir une norme, et non un simple effet d’annonce.
Investir massivement dans le capital humain

La redistribution ne saurait être limitée aux transferts d’argent. L’investissement prioritaire doit viser l’éducation, la santé et les infrastructures de base. Former une génération d’ingénieurs, de médecins et d’entrepreneurs grâce aux revenus du pétrole ou du cobalt, voilà le pari de demain. « Un pays riche, c’est d’abord un peuple éduqué et en bonne santé », martèle Joseph Ntoutoume, professeur à l’Université Omar Bongo.
Créer des fonds souverains citoyens

Inspirés par les modèles norvégien ou botswanais, plusieurs pays d’Afrique centrale pourraient créer des fonds souverains alimentés par les ressources naturelles, au bénéfice direct des citoyens. À condition que ces fonds soient gérés de manière indépendante, avec un strict contrôle parlementaire et citoyen.
« La rente pétrolière ou minière doit profiter à l’agriculteur du Haut-Ogooué comme à l’étudiant de Douala », plaide pour sa part Angèle Mboma, directrice d’un think tank économique à Libreville.
Diversifier pour sortir de la dépendance

Enfin, la véritable redistribution passera par la sortie de l’économie de rente. Le coton du Tchad, le cacao du Cameroun, l’écotourisme au Gabon, les technologies vertes en RDC : les opportunités d’une Afrique centrale post-extractive existent. Il suffit de la volonté politique et de stratégies claires pour créer des économies résilientes et inclusives.
Une urgence historique

Le temps presse. Les matières premières ne sont pas infinies, et les attentes des jeunes générations sont immenses. À défaut de corriger rapidement le tir, les dirigeants d’Afrique centrale pourraient faire face à une instabilité croissante, nourrie par le sentiment d’injustice et d’abandon.
À l’inverse, une redistribution intelligente et équitable pourrait marquer le début d’un véritable renouveau : celui d’une Afrique centrale maîtresse de son destin, forte de ses ressources, mais encore plus forte de son peuple.