Par Prince Bertoua
La Côte d’Ivoire, meurtrie par des décennies de crises politiques et militaires, a amorcé une métamorphose silencieuse mais déterminante de ses forces armées. De la rébellion de 2002 à la crise post-électorale de 2010-2011, l’armée ivoirienne était perçue comme fragmentée, parfois politisée, et manquant de cohésion. Mais sous l’impulsion des réformes initiées par le président Alassane Ouattara, elle se dresse aujourd’hui comme un modèle en pleine restructuration et modernisation en Afrique de l’Ouest.
Professionnalisation et réorganisation : un défi titanesque
Au lendemain de la crise post-électorale, l’urgence était de rétablir une chaîne de commandement solide et apolitique. Cela a conduit à la création du Conseil national de sécurité (CNS) en 2012, un organe stratégique destiné à assurer une coordination optimale des opérations de défense et de sécurité. La réforme s’est accompagnée d’un programme ambitieux de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), ciblant des milliers d’ex-combattants et réduisant les risques d’instabilité.
Sur le terrain, l’armée a également bénéficié de formations intensives, souvent menées en collaboration avec des partenaires internationaux comme la France, les États-Unis et l’Union européenne. Ces formations, couplées à des efforts d’équipement, ont permis à l’armée ivoirienne de mieux répondre aux menaces sécuritaires modernes, notamment la lutte contre le terrorisme qui sévit dans le nord du pays.
Une rupture symbolique : la rétrocession du camp du 43e BIMa.
Le 20 décembre 2024, Alassane Ouattara a marqué l’histoire en annonçant la rétrocession du camp du 43e Bataillon d’infanterie de marine française à l’armée ivoirienne. Ce site stratégique, qui abritait des troupes françaises depuis 1961, devient désormais une base nationale de formation et de commandement.Cette décision illustre la volonté d’un rééquilibrage dans les relations de coopération militaire entre la Côte d’Ivoire et ses anciens alliés, tout en renforçant l’indépendance stratégique du pays. Elle reflète également un regain de confiance dans les capacités locales de défense.
Perspectives : une armée au cœur de la stabilité régionale
Dans un contexte où l’Afrique de l’Ouest est en proie à des coups d’État et à l’expansion des groupes jihadistes, la Côte d’Ivoire aspire à devenir un pilier de la sécurité régionale. Les autorités prévoient de renforcer les capacités opérationnelles de l’armée avec des investissements dans le renseignement, la cybersécurité et l’acquisition de matériel moderne, notamment dans l’aviation et les drones.
À moyen terme, le gouvernement ambitionne de positionner l’armée ivoirienne comme une force contributrice majeure dans les opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU ou de la CEDEAO. Cependant, ces ambitions nécessitent des efforts soutenus pour maintenir la discipline et lutter contre les éventuelles tentations d’instrumentalisation politique des forces armées.
Le défi humain : la clé de la réussite
Si la modernisation matérielle est une priorité, la Côte d’Ivoire mise également sur le facteur humain. Le bien-être des soldats et leurs conditions de travail sont devenus des préoccupations centrales. Des réformes visant à améliorer les salaires, les retraites et les logements militaires ont été mises en œuvre, tout comme des programmes pour promouvoir l’éthique et les droits de l’homme au sein des forces.
Un modèle à suivre ?
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire se distingue par sa capacité à tirer les leçons du passé pour reconstruire une armée plus solide et respectueuse des institutions démocratiques. Ce cheminement offre un modèle d’inspiration pour d’autres nations africaines confrontées à des défis similaires.
Pour autant, les défis demeurent immenses. La stabilité politique, la lutte contre la corruption et le renforcement de la justice militaire seront cruciaux pour garantir que cette armée, désormais modernisée, reste un pilier de la paix et du développement.
En Côte d’Ivoire, la réinvention de l’armée n’est pas simplement un fait militaire, mais un symbole du renouveau national. Une renaissance qui, bien que discrète, éclaire l’avenir d’une nation tournée vers la stabilité et le progrès.
