Il y a dans l’histoire de la musique des refrains qui ne vieillissent jamais, des rythmes qui traversent les océans sans passeport. En 1972, un saxophoniste camerounais, au timbre chaud et à la moustache inoubliable, grave l’un de ces miracles sur bande : « Soul Makossa ». Ce morceau, d’abord pensé comme une face B anodine pour accompagner l’hymne de la Coupe d’Afrique des Nations, va devenir bien plus qu’un succès : un cri d’âme africaine, une signature universelle.
Le génie avant la reconnaissance

À l’époque, Manu Dibango n’imagine pas qu’un simple « mama-say, mama-sa, ma-ma-ko-ssa » résonnerait un jour sur les platines du monde entier. Son « makossa » – ce mélange vibrant de funk, de jazz et de rythmes camerounais – ouvre un pont entre Douala et New York, entre les racines et le groove moderne. Le monde découvre, sans toujours le savoir, qu’un son venu d’Afrique peut faire danser la planète.
Quand le « Roi de la pop » s’inspire du maître africain

Dix ans plus tard, Michael Jackson sort Thriller, album devenu légende. Dans le titre d’ouverture, Wanna Be Startin’ Somethin’, la voix du roi de la pop scande le désormais mythique mama-say, mama-sa, ma-ma-ko-ssa. Le monde acclame, les foules chantent, mais nulle part le nom de Manu Dibango n’apparaît.
Le pionnier camerounais, fidèle à sa dignité tranquille, n’exige pas la gloire, seulement justice. En 1986, un accord amiable clôt l’affaire : quelques lignes signées, un chèque d’un million de francs français, et un goût amer – celui de la reconnaissance tardive.
Quand l’histoire se répète : Rihanna et le nouvel affront

Vingt ans plus tard, le refrain ressurgit, cette fois sous la voix envoûtante de Rihanna, dans Don’t Stop the Music. L’artiste barbadienne sample la phrase à travers la version de Jackson, oubliant encore, ou feignant d’oublier, la source originelle. Manu Dibango saisit la justice française.
Mais la décision tombe comme une gifle : requête irrecevable. Les accords passés avec Jackson valent pour tous, dit-on. La justice administrative referme le dossier, mais le débat culturel reste, brûlant.
L’Afrique, éternelle inspiratrice, rarement créditée
Cette affaire dépasse la simple querelle de droits d’auteur. Elle symbolise un drame plus vaste : l’effacement récurrent de la paternité africaine dans la culture mondiale. De l’afrobeat à la rumba, des tambours du Congo aux guitares du Sahel, les sons d’Afrique nourrissent la planète. Mais combien de leurs créateurs sont cités, honorés, rémunérés à leur juste valeur ?
Un héritage indélébile
Manu Dibango n’a jamais été un homme de rancune. Il a toujours préféré le sourire à la colère, le saxophone à la polémique. Mais son combat, discret et digne, demeure un repère pour tous les artistes du continent.
« Soul Makossa » n’est pas qu’un tube : c’est une revendication culturelle, un rappel que l’Afrique n’est pas qu’une source d’inspiration, mais une matrice de création.
Et quelque part, dans un club de Douala ou de Harlem, dès que le riff démarre et que le chœur s’élève – mama-say, mama-sa, ma-ma-ko-ssa –, c’est encore Manu qui parle.
Et le monde, qu’il le sache ou non, danse au rythme de son âme.


