Par notre correspondant spécial à Paris – Paris, 5 avril 2025
C’est un séisme judiciaire qui secoue l’ancienne élite politique gabonaise et ébranle les fondations d’un système longtemps protégé par les non-dits diplomatiques. Le 28 mars dernier, le juge d’instruction financier chargé depuis 2010 du tentaculaire dossier des « biens mal acquis » a clos son enquête. Une information confirmée ce vendredi 4 avril par des sources proches du dossier, citées par l’AFP et rencontrés par nos correspondants à Paris . Le Parquet national financier (PNF) doit désormais prendre ses réquisitions. Puis viendra la décision ultime : un procès retentissant ou un non-lieu.
Dans les arcanes de la justice parisienne, l’affaire fait figure de monument. Vingt-quatre mises en examen, dont onze enfants du défunt président Omar Bongo Ondimba – emblématiques d’une dynastie qui aura régné sans partage sur le Gabon pendant plus de cinq décennies. Parmi eux : Pascaline Bongo, longtemps perçue comme la gardienne de l’héritage paternel, mais aussi des personnalités inattendues, comme l’ex-Miss France Sonia Rolland, un notaire parisien, un avocat, et même la puissante BNP Paribas.
Des millions et des secrets

Le cœur du scandale ? Un patrimoine immobilier d’une valeur estimée à 85 millions d’euros, soupçonné d’avoir été acquis frauduleusement grâce aux circuits opaques de la « Françafrique ». Des appartements cossus à Paris, des villas en Provence, des résidences de rêve sur la Côte d’Azur… autant de symboles du luxe que la justice française a méthodiquement saisis – pour un total évalué à 70 millions d’euros fin 2023.
Derrière ces façades en pierre haussmannienne, se cache un système qui aurait permis le siphonnage de fonds publics gabonais pour enrichir une poignée de privilégiés. En défense, plusieurs membres de la famille Bongo évoquent leur ignorance ou leur jeunesse au moment des acquisitions. Un des mis en cause est aujourd’hui décédé, tandis qu’Ali Bongo, renversé en août 2023 , reste à ce jour hors de la liste des inculpés. Mais pour combien de temps encore ?
L’État gabonais réclame justice

C’est l’un des paradoxes majeurs de cette affaire : l’État gabonais, autrefois représenté par ceux-là mêmes aujourd’hui dans le viseur de la justice, s’est constitué partie civile. Une posture nouvelle, rendue possible par le changement de régime intervenu le 30 août 2023, lorsque les militaires du CTRI ont mis fin à la présidence d’Ali Bongo Ondimba.
Le Gabon de la transition veut tourner la page d’un demi-siècle de prédation. Et ce dossier judiciaire pourrait devenir le symbole d’une reconquête de la souveraineté et de la transparence. Mais aussi, dans les chancelleries africaines, un précédent redouté pour d’autres baronnies en sommeil.
Une Françafrique sous perfusion judiciaire

Ce procès – s’il a lieu – ne serait pas simplement celui des Bongo. Il mettrait en lumière les complices français d’un système de corruption endémique, jadis nourri par les deals pétroliers, les faveurs politiques, les valises de cash et les silences bien rémunérés. L’affaire Elf n’est jamais bien loin, comme une ombre persistante derrière chaque immeuble saisi.
Le glas a-t-il sonné pour les héritiers de la Françafrique ? La fin des investigations marque en tout cas une étape décisive. Et si la justice confirme la tenue d’un procès, ce sera bien plus qu’une audience : ce sera l’histoire d’une dynastie jugée là où elle croyait être invulnérable.