L’Est de la République démocratique du Congo (RDC) continue d’être le théâtre d’un affrontement géopolitique dont les ressorts dépassent largement le cadre d’un simple conflit armé. Depuis plusieurs mois, l’Alliance Fleuve Congo (AFC), mouvement politico-militaire dirigé par l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa, s’affirme comme un acteur de premier plan aux côtés du M23. Cette alliance soulève une question fondamentale : joue-t-il un rôle similaire à celui de Laurent-Désiré Kabila en 1997, à savoir celui d’un pion propulsé par Kigali et Kampala pour faire tomber le régime en place ?
Un Parallèle Historique Troublant

Il y a près de trois décennies, Laurent-Désiré Kabila avait été l’homme choisi par Paul Kagamé et Yoweri Museveni pour renverser Mobutu Sese Seko. À la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), il avait traversé le pays en un éclair, avec un soutien militaire, logistique et diplomatique évident du Rwanda et de l’Ouganda. À l’époque, Mobutu, vieillissant et isolé, n’avait plus d’alliés solides pour contenir cette offensive fulgurante.
Aujourd’hui, la situation est différente, mais certains éléments rappellent cette époque. Félix Tshisekedi, bien que toujours en fonction, est perçu comme imprévisible et peu malléable par ses voisins de l’Est. Ses tentatives de diversification des alliances, notamment avec les États-Unis et les nouvelles puissances émergentes comme la Turquie, ont pu irriter Kigali et Kampala, habitués à peser directement sur la gouvernance de Kinshasa.
Nangaa, une Carte Jouable ?

Corneille Nangaa, technocrate devenu stratège politico-militaire, semble incarner une nouvelle alternative crédible pour ces puissances régionales. Contrairement à d’autres figures de l’opposition, il a su tisser un lien fort avec les rebelles du M23, dont le soutien logistique rwandais est un secret de polichinelle. En s’affichant ouvertement aux côtés de ces derniers, il renforce l’idée qu’il pourrait être l’outil d’un changement de régime voulu par l’étranger.
Cependant, plusieurs différences marquent la conjoncture actuelle :
Une RDC plus armée – Sous Tshisekedi, l’armée congolaise (FARDC) a renforcé ses capacités et bénéficie du soutien des mercenaires russes de Wagner ainsi que de l’appui matériel de certaines puissances occidentales. Contrairement à 1997, Kinshasa n’est plus totalement isolée.
Un contexte géopolitique plus complexe – L’époque où le Rwanda et l’Ouganda pouvaient intervenir directement sans provoquer de réactions internationales est révolue. Washington, Paris et Bruxelles suivent de près les évolutions en RDC, et la présence d’une mission de l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est) ainsi que des casques bleus complique un renversement militaire direct.
Une opinion publique plus éveillée – L’ascension de Nangaa pourrait se heurter à un rejet populaire. Les Congolais sont désormais plus méfiants vis-à-vis des figures perçues comme étant des marionnettes des puissances étrangères, surtout après les expériences passées avec Kabila père et fils.
Vers un Scénario Explosif ?

Si Corneille Nangaa tente bel et bien de jouer le rôle qu’a joué Laurent-Désiré Kabila en 1997, la route sera plus difficile et semée d’embûches. Félix Tshisekedi, bien que critiqué sur plusieurs fronts, dispose encore d’atouts non négligeables. De plus, la présence de la Russie, des États-Unis et d’autres acteurs internationaux en RDC modifie profondément la donne.
Le risque majeur réside dans l’embrasement total de l’Est du pays, avec une guerre hybride où milices, États et groupes paramilitaires se disputeraient le contrôle de la région, au prix de nouvelles souffrances pour les populations civiles.
La question demeure : Corneille Nangaa est-il un acteur de transition vers un nouveau pouvoir en RDC, ou un simple levier tactique dans un conflit plus vaste où les intérêts étrangers continueront de dicter l’avenir du pays ? Seule l’évolution des prochains mois permettra d’y répondre. https://www.liberation.fr/international/afrique/rdc-qui-est-corneille-nangaa-patron-de-lalliance-du-fleuve-congo-qui-sest-empare-de-goma-avec-le-m23-20250205_PM2A6MNPAZDI3FYGBR7ENFHOJQ/