La face cachée des négociations avec le M23
Par Prince Bertoua
L’histoire tourmentée de la République Démocratique du Congo (RDC) semble s’écrire dans un cycle infernal de conflits et d’ingérences étrangères. Depuis l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila en 1997, la région Est du pays est le théâtre d’un affrontement où s’entrelacent intérêts géopolitiques, ressources minières et luttes d’influence. Près de trois décennies plus tard, la résurgence du groupe rebelle M23 et l’insistance du président rwandais Paul Kagamé à privilégier les négociations plutôt que l’option militaire posent une question fondamentale : quelles sont les véritables dynamiques cachées derrière cette guerre sans fin ?
Laurent-Désiré Kabila, une ascension sous influence rwandaise et ougandaise

Lorsque Laurent-Désiré Kabila prend le pouvoir en mai 1997 après avoir renversé Mobutu Sese Seko, son triomphe n’est pas seulement celui d’un chef de guerre congolais. Il est aussi le produit d’une coalition militaire et stratégique forgée avec Kigali et Kampala. À l’époque, les gouvernements rwandais et ougandais, dirigés respectivement par Paul Kagamé et Yoweri Museveni, soutiennent activement l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), dirigée par Kabila, dans l’objectif de mettre fin au sanctuaire des milices hutu génocidaires en RDC et de s’approprier les richesses du Kivu.
Mais cette alliance stratégique se transforme vite en rivalité. En 1998, à peine installé, Kabila rompt avec ses parrains rwandais et ougandais en expulsant leurs forces militaires. Cette trahison entraîne une seconde guerre du Congo, un conflit régional d’une rare complexité qui voit s’affronter plusieurs pays africains sur le sol congolais.
Joseph Kabila et les accords secrets avec le M23 ?

Après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en 2001, son fils Joseph Kabila hérite d’un pays en guerre. Pour consolider son pouvoir, il adopte une politique ambiguë vis-à-vis du Rwanda et des groupes rebelles. L’un des épisodes les plus opaques de cette période concerne la rébellion du M23, une milice majoritairement tutsi soutenue par Kigali.
Des documents confidentiels et plusieurs rapports de l’ONU laissent entendre que Joseph Kabila aurait négocié secrètement avec le M23, notamment après la chute de Goma en 2012. L’objectif ? Éviter une escalade qui fragiliserait son régime et maintenir un équilibre géopolitique précaire.
Certains accords auraient permis à d’anciens cadres du M23 d’intégrer l’armée congolaise (FARDC), tandis que d’autres auraient bénéficié d’une amnistie discrète. Mais cette stratégie n’a fait que repousser le problème : en 2021, la résurgence du M23 sous une forme plus agressive démontre que les tensions n’ont jamais été réellement apaisées, seulement dissimulées.
Pourquoi Paul Kagamé insiste-t-il sur les négociations avec le M23 ?

Aujourd’hui, face à la pression internationale et à la montée en puissance des FARDC et des forces régionales de la SADC, Paul Kagamé martèle l’urgence de négociations avec le M23. Mais pourquoi ce soutien indéfectible à cette rébellion ?
1/ Le contrôle du Kivu : La région Est de la RDC regorge de minerais stratégiques, notamment le coltan et l’or. En soutenant le M23, le Rwanda maintient son influence sur les circuits d’exploitation et de contrebande.
2/ Un levier géopolitique : Le M23 est une carte diplomatique pour Kigali, lui permettant d’influencer Kinshasa en forçant des concessions sur des dossiers économiques et sécuritaires.
3/ Une pression sur le pouvoir congolais : En insistant sur la négociation, Kagamé veut imposer un dialogue qui légitimerait les revendications du M23 et obligerait le président Félix Tshisekedi à des compromis, ce qui affaiblirait son autorité.
Un État congolais infiltré sous Kabila père et fils ?

Durant les années Kabila, une présence marquée de ressortissants rwandais et ougandais dans l’administration congolaise était visible. Des officiers militaires, des hauts fonctionnaires et même des membres du gouvernement étaient issus des rangs de l’AFDL ou avaient des liens directs avec Kigali. Cette infiltration a non seulement favorisé une ingérence étrangère constante, mais a aussi rendu l’État congolais vulnérable aux manipulations extérieures.
L’héritage de cette époque pèse encore aujourd’hui, et explique en partie la difficulté pour la RDC de s’affirmer comme une puissance souveraine face à ses voisins.
Conclusion : Une guerre sans fin ou un nouvel ordre géopolitique ?
Alors que les tensions restent vives et que les offensives militaires se poursuivent à l’Est de la RDC, la question cruciale demeure : cette guerre prendra-t-elle fin un jour Tant que les intérêts économiques, politiques et stratégiques primeront sur la paix, le cycle de violence risque de se perpétuer. La solution ne viendra pas uniquement des négociations avec le M23, mais d’une réelle volonté de Kinshasa de reprendre le contrôle total de son territoire, d’assainir son administration et de repenser ses relations avec ses voisins.
Mais pour l’instant, derrière les discours officiels et les promesses de paix, les tractations secrètes continuent, dessinant l’avenir incertain d’un pays qui semble condamné à se battre pour sa souveraineté.