Entre démantèlement assumé et relance industrielle, le paysage énergétique gabonais s’engage dans une mue stratégique où compétence locale et partenariat international redessinent les contours de la souveraineté énergétique.
Une rupture avec les errements du passé

Longtemps prisonnier d’infrastructures obsolètes, de capacités insuffisantes et de délestages chroniques, le secteur énergétique gabonais semble enfin amorcer une inflexion décisive. À Libreville comme à Port-Gentil, une opération d’envergure, lancée le 10 novembre dernier, marque le début d’une mutation structurelle assumée : démanteler pour mieux reconstruire, déconstruire l’ancien pour préparer l’avenir.
Porté par une coopération entre l’entreprise gabonaise ESFBUS et le partenaire technologique turc Aksa Enerji, le programme vise à moderniser les sites critiques et à optimiser les centrales thermiques nationales, dans un contexte de demande énergétique en constante progression.
Akournam : le symbole d’une transition en actes

Selon L’Union, la première phase du programme concerne la centrale thermique d’Akournam, à Owendo. Elle porte sur le retrait de trois machines lourdes : deux turbines à gaz Alstom MS 5001 PA, pesant chacune près de 220 tonnes, et une Solar Turbine Titan 130, ainsi que leurs unités auxiliaires.
Au-delà de la prouesse technique, l’opération revêt une portée symbolique forte. Il s’agit de tourner la page d’un modèle énergétique à bout de souffle, incapable de soutenir la dynamique économique et démographique du pays.
ESFBUS, la démonstration par la compétence locale

Sélectionnée à l’issue d’un appel d’offres, ESFBUS, dirigée par Eugène Massamba, s’impose comme l’un des acteurs centraux de cette transformation. Spécialisée dans la maintenance industrielle lourde, l’entreprise gabonaise intervient habituellement sur des équipements stratégiques pour de grands opérateurs.
Après près de deux mois de travaux, le chantier affiche plus de 90 % d’avancement, sans incident majeur. Les équipes ont procédé à la démolition de structures de soutien et de fondations en béton armé pouvant atteindre 31 mètres de long, ainsi qu’à la remise en état de l’environnement immédiat, incluant la démolition de 3 590 m² de zones piétonnes et d’allées pavées.
Pour Eugène Massamba, l’enjeu dépasse le cadre du chantier : il s’agit de démontrer que le Gabon dispose désormais des compétences nécessaires pour mener des projets énergétiques critiques sans dépendance systématique à l’expertise étrangère.
100 MW à court terme, 1 000 MW à l’horizon

Les travaux de Libreville, qui devraient s’achever le 24 décembre, préparent l’installation de nouvelles unités de production. Résultat attendu : une injection immédiate de 100 MW supplémentaires dans le réseau national, dans le cadre du partenariat avec Aksa Enerji.
Mais l’ambition est plus vaste. Dès janvier 2026, la seconde phase débutera à Port-Gentil, sur la centrale thermique du boulevard Léon-Mba. Deux turbines Alstom de 20 MW chacune y seront démantelées, accompagnées de leurs unités annexes et du hangar de couverture. L’opération, prévue sur 30 jours, devrait déboucher sur une mise en service en mai 2026.
À plus long terme, un accord prévoit la création d’une centrale à gaz de 1 000 MW, appelée à transformer durablement le mix énergétique national.
Une réponse à un déficit structurel alarmant

Sur le plan macroéconomique, cette stratégie apparaît comme une réponse urgente à un déséquilibre structurel profond. Le Gabon dispose aujourd’hui d’une capacité installée estimée à 704 MW, alors que la demande nationale avoisine les 1 039 MW. Un écart qui explique la persistance des délestages et la fragilité d’un réseau vieillissant.
Le choix d’une technologie bi-fuel (gaz/fioul) s’inscrit dans une logique pragmatique : le gaz naturel national, plus économique et moins polluant, constitue la source principale, tandis que le fioul joue le rôle de solution de secours, garantissant la continuité de service.
L’énergie comme levier de souveraineté

Au-delà des chiffres et des chantiers, la mutation énergétique gabonaise traduit une volonté politique et industrielle claire : faire de l’énergie non plus un facteur de vulnérabilité, mais un levier de souveraineté, de croissance et de stabilité sociale.
En associant expertise internationale et montée en puissance des compétences locales, le programme conduit par ESFBUS et Aksa Enerji s’impose comme un test grandeur nature. Un test dont l’issue conditionnera, pour une large part, la capacité du Gabon à soutenir son développement et à sortir durablement de la crise énergétique.
L’énergie, au Gabon, n’est plus seulement une question technique. Elle devient un choix de société.


