Ce 1ᵉʳ décembre 2025, la 3ᵉ chambre du Tribunal judiciaire de Paris s’apprête à examiner un dossier que l’on croyait enfoui sous les années et les déclarations. Pourtant, l’affaire opposant la société gabonaise E-Doley Finance, fondée par Ernest Akendengue-Tewelyo, au groupe BGFI Holding Corporation et à BGFIBank Gabon, dirigés par Henri-Claude Oyima, remonte aujourd’hui à la surface avec la fermeté d’un dossier qui n’a jamais réellement cessé d’exister.
2013 : le partenariat qui devait ouvrir une ère, et qui a ouvert un conflit

Tout commence en 2013, lorsqu’un partenariat technologique ambitieux voit le jour. Objectif : porter sur le marché la solution « e-Doley Cash by BGFIBank ».
La suite est connue. Rupture du partenariat, lancement par BGFI d’un service interne de paiement mobile, et déclenchement d’un feuilleton judiciaire transfrontalier dont l’intensité n’a cessé de surprendre.
Dix ans plus tard, ce litige est devenu l’un des plus emblématiques du continent en matière de propriété intellectuelle. Tribunaux de commerce, Cour d’appel, procédure en révision, saisine de la Cour constitutionnelle, expertise logicielle, expertise financière : tout y est passé. Même Paris n’a pas été épargné.
2019 : une déclaration publique, et le poids des faits qui la rattrapent

En décembre 2019, dans les colonnes de Jeune Afrique, Henri-Claude Oyima affirmait qu’E-Doley avait été « débouté à Paris ». Une phrase qui a marqué les esprits, mais que la procédure judiciaire n’a jamais confirmée.
Car les faits sont têtus. En février 2020, la Cour d’appel de Paris réaffirme sa compétence pour juger l’affaire sur le terrain de la propriété intellectuelle. La procédure ne s’est jamais interrompue. Et c’est cette même procédure, toujours vivante, qui arrive aujourd’hui devant les juges.
Une chronologie qui, à elle seule, suffit à interroger.
2020 : les expertises qui jettent la lumière là où certains espéraient l’ombre

Les expertises judiciaires ordonnées à Libreville en 2020 livrent des conclusions sans ambiguïté :
similarités complètes dans certaines requêtes techniques, plus de 80 % de fonctionnalités communes, architecture logicielle très proche.
Autant de constats techniques qui confortaient largement les arguments d’E-Doley.
Pourtant, en juin 2021, la Cour d’appel de Libreville annule les ordonnances ayant permis ces expertises au motif que le Tribunal de commerce n’aurait pas eu qualité pour les ordonner.
Une motivation rare, surtout dans un dossier d’une telle ampleur, qui a immédiatement suscité interrogations et commentaires dans les milieux juridiques.
L’énigme sénégalaise : une piste qui s’effondre sous le poids des vérifications
L’annulation repose notamment sur un document attribué à un prestataire sénégalais présenté comme la source technologique de BGFI.
Une enquête menée à Dakar en 2024 révèle une tout autre réalité : société absente du registre du commerce, adresse inexistante, aucun partenariat déclaré à la BEAC.
Autrement dit, une pièce centrale qui ne résiste pas à l’examen.
Documents en décalage : quand les dates ne s’accordent plus
En 2023, de nouvelles pièces apparaissent. Mais elles posent davantage de questions qu’elles n’apportent de réponses :une correspondance adressée à un directeur général ayant quitté ses fonctions depuis 2020, et une lettre de résiliation envoyée en 2023 à ce même responsable.
Des incohérences qui renforcent l’impression que ce dossier s’est construit au fil d’ajustements difficiles à concilier.
De Dakar à Libreville, Tunis à Paris : la valse des origines technologiques

Dans les procédures menées au Gabon, la défense évoquait le Sénégal comme point d’ancrage de la technologie.À Paris, c’est désormais la Tunisie qui apparaît dans les conclusions.Un changement de version qui interroge les observateurs, tant il modifie la cohérence globale du récit technique.
Une audience qui tombe à un moment stratégique

L’audience du jour intervient alors que BGFI prépare l’introduction en bourse de 10 % de son capital.
Un contexte qui donne une résonance particulière à cette procédure parisienne, laquelle pourrait influencer l’image de gouvernance et de transparence du groupe.
Les juges français entament aujourd’hui l’examen au fond d’un dossier devenu un symbole : celui de la relation entre banques et entrepreneurs africains, entre innovation locale et grands groupes, entre justice nationale et juridictions internationales.


