Il est des chansons qui, au-delà de la musique, deviennent des miroirs où la société entière se contemple, parfois avec fierté, parfois avec gêne. « Mario », créé en 1985 par François Luambo Makiadi, dit Franco, et son Tout-Puissant O.K. Jazz, appartient à cette élite rare. Plus qu’un tube, c’est une fresque sonore, une satire sociale, et un monument qui, quarante ans plus tard, continue de résonner avec la même intensité.
La naissance d’un mythe à Libreville

Enregistré au Studio Mademba à Libreville, sous la houlette du producteur Elvis Kemayo, « Mario » réunit un casting d’orfèvres : Franco à la guitare et au chant, Madilu System en contre-chant, Papa Noël Nedule à la guitare solo, Gégé Mangaya à la rythmique, Decca Mpudi à la basse, Nado Kakoma à la batterie et Dessoin Bosuma aux congas. La composition, en do bémol majeur, au tempo chaloupé d’environ 115 BPM, est un modèle d’équilibre : guitares limpides, basse souple, percussions maîtrisées, et voix qui se répondent dans un théâtre sonore finement construit.
Un récit qui pique au vif
« Mario » raconte l’histoire d’un jeune diplômé paresseux, préférant le confort d’une liaison avec une femme plus âgée à la rigueur du travail. Franco, fin observateur, peint son personnage avec un mélange d’ironie et de cruauté verbale : phrases assassines, expressions populaires, images crues. Très vite, « Mario » devient un mot courant dans les rues de Kinshasa et Brazzaville, désignant un homme profiteur et oisif.
Le triomphe immédiat
Dès sa sortie, le titre pulvérise les ventes : plus de 200 000 exemplaires au Zaïre, couronnés par un disque d’or. Diffusé sur les ondes, dans les bars et sur les places publiques, « Mario » franchit les frontières : Dakar, Abidjan, Libreville, Paris, Bruxelles…
Le label Makossa Records le propage jusque dans les communautés afro-caribéennes de New York. La chanson se décline en trois versions : l’originale (1985), « Mario 2 » la même année, et « Mario 3 » en 1987 sur l’album L’Animation Non Stop.
Une œuvre qui traverse les générations
Au fil des décennies, « Mario » se réinvente sans perdre son essence. Le groupe Africando l’a teinté d’afro-salsa, Marshall Dixon l’a réinterprété en rap, et Fally Ipupa l’a revisitée en 2022 avec Lady D sur l’album Formule 7, un titre expressément dédié à Danièle Mboussou, épouse de Denis Chrystel Sassou Nguesso. En 2024, Ipupa a remis un disque d’or posthume à la famille Franco, symbole d’un héritage toujours vivant et d’un respect intergénérationnel.
Un langage populaire devenu patrimoine
Ce qui frappe, c’est la permanence du langage de « Mario ». Ses punchlines, souvent crues, sont passées dans la culture populaire comme des proverbes urbains. La chanson est étudiée dans les cercles musicologiques, citée dans les médias, et figure dans toutes les playlists patrimoniales des plateformes de streaming.
La magie Franco
Si « Mario » survit au temps, c’est parce qu’il incarne la méthode Franco :
Observation sociale sans concession
Arrangements au millimètre
Narration incarnée par des voix complices
Mélodie accrocheuse et mémorable
Franco, alors revenu en grâce après des tensions avec le pouvoir, signe avec « Mario » une œuvre à la fois divertissante et politique, capable de faire danser tout en pointant les travers d’une génération.
Quarante ans après toujours sur la piste

Aujourd’hui, sur YouTube, les versions live et montages cumulés affichent des millions de vues. Dans les mariages, les fêtes et les bars, « Mario » reste un moment fédérateur : on rit, on chante, on se remémore, et parfois, on s’identifie.
Franco est parti en 1989, mais « Mario » demeure. Dans la grande bibliothèque de la rumba congolaise, ce titre est plus qu’un disque : c’est une leçon de musique, de société et d’intemporalité.


