C’est une parole rare. Une parole attendue. Une parole qui frappe comme une gifle dans le théâtre amnésique d’un système désormais déchu mais longtemps bâillonné par la peur et l’arrogance du pouvoir. Grégory Laccruche Alihanga, figure centrale de l’affaire « Scorpion », sort du silence avec une lettre ouverte qui ne se veut ni revanche, ni appel au lynchage, mais un cri lucide contre le travestissement du réel. Une adresse frontale à ceux qui, hier encore, régnaient sans partage, et qui aujourd’hui se drapent dans les toges de victimes. Le cœur de la lettre ? Une vérité nue : les oppresseurs d’hier ne peuvent impunément se transformer en martyrs d’aujourd’hui.
L’arrogance de l’oubli : quand les artisans de la douleur pleurent leur sort

« Je parle car ceux qui ont incarné l’oppression se parent désormais des habits de victimes. » Ces mots cinglants ouvrent une lettre où la dignité est servie froide, sans haine, mais avec une rigueur morale implacable. Grégory Laccruche accuse sans détour ceux qui ont été les architectes d’un système d’humiliation institutionnalisée. Il leur oppose une mémoire vive : celle d’un homme enfermé, torturé, isolé, dépouillé de ses droits fondamentaux pendant quatre longues années.
Dans cette fresque de l’oppression, les noms sont cités : Noureddin Bongo Valentin, Abdul Océni, Ali Bongo Ondimba. Une scène glaçante est dressée : convoqué en 2019, alors qu’il était encore maire d’Akanda, Grégory Laccruche reçoit l’ordre de trahir son frère Brice, de fabriquer des accusations de trahison. Il refuse. Trois jours plus tard, l’appareil répressif se met en marche.
“Nono a dit…” : la justice en laisse

Quatre années. Sans jugement. Sans audience. Sans avocat. Enfermé dans 6 mètres carrés d’obscurité, privé de soins, coupé de ses proches. Grégory Laccruche ne fut pas un justiciable, mais un otage. Le prix à payer pour sa loyauté fraternelle et son refus de l’avilissement. Une seule condition lui était offerte pour sortir : charger son frère. Il ne pliera pas.
La répétition de l’horreur s’installe. L’État de droit se mue en mécanisme de chantage et de vengeance. Pas de juge. Pas de défense. Pas de recours. La prison centrale devient le sanctuaire de l’arbitraire.
Quand le silence devient compliceAujourd’hui, ceux qui jadis glorifiaient ce système de terreur dénoncent, avec une ferveur sélective, des conditions qu’ils n’ont pas seulement tolérées mais mises en place. Ils crient à l’injustice là où ils ont organisé l’injustifiable. Ils appellent à la pitié là où ils n’ont jamais connu la moindre compassion. Ils invoquent la communauté internationale, l’ONU et la France qu’ils ont autrefois méprisée. Cynisme ou conversion tardive ? La question demeure, mais la mémoire elle, ne vacille pas.
Un calvaire reconnu… puis enterré

Le 23 décembre 2020, l’ONU reconnait officiellement Grégory Laccruche comme prisonnier politique, exige sa libération immédiate. En vain. Le régime d’Ali Bongo Ondimba dirigé par Sylvia et Noureddin Bongo Valentin répond d’un revers de main : « La justice gabonaise est souveraine ». Et la machine continue d’écraser. La France est saisie pour séquestration. Aucune suite tangible. Une stratégie d’étouffement, orchestrée avec froideur.
Des vies fracturées à jamais

Derrière cette tragédie individuelle se cache une cascade de douleurs silencieuses : une mère victime de deux AVC, désormais handicapée ; un frère rongé par le cancer, maintenu vivant grâce à une intervention de dernière minute. Grégory perd partiellement la vue dans les ténèbres de sa cellule. Un enfer dont il ne sortira que grâce à la transition impulsée par le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema.
La vérité ne se négocie pas
L’homme parle aujourd’hui, non pour se venger, mais pour que la mémoire collective ne soit pas réécrite par les faussaires du récit. Il exhorte la nation et le monde à ne pas tomber dans le piège d’un renversement des rôles où les bourreaux deviennent des martyrs auto-proclamés. Il rappelle, avec calme et fermeté :
« Ceux qui crient aujourd’hui ont fait taire hier. »Il ne réclame pas la haine. Il exige la justice. La vraie. Celle qui restaure, pas celle qui réécrit à la faveur des vents politiques.
Un devoir de justice et de vigilance
Grégory Laccruche conclut avec la détermination d’un homme debout malgré les chaînes : il usera de tous les recours, nationaux et internationaux, pour que la vérité ne soit pas confisquée, pour que les criminels de l’ombre ne redeviennent pas les héros du jour, pour que la mémoire ne soit pas mutilée par l’impunité.
Cette lettre est bien plus qu’un témoignage. C’est une pierre lancée dans le jardin de l’hypocrisie, un manifeste contre l’oubli organisé, une plaidoirie pour l’honneur, dans un pays encore en quête de sa vérité.
Parce qu’un peuple qui oublie se condamne à revivre ses chaînes. https://www.jeuneafrique.com/862222/societe/gabon-gregory-laccruche-alihanga-maire-dakanda-interpelle-a-libreville/


