En République Gabonaise, certains souvenirs refusent obstinément de s’effacer. Parmi eux, celui de ce matin de janvier 2019, resté gravé dans les mémoires comme l’un des épisodes les plus troublants de la gouvernance Bongo. Ce jour-là, alors que le pays s’efforçait de donner le change après l’AVC qui avait lourdement affaibli le Président Ali Bongo Ondimba, une image choqua l’opinion nationale : son épouse, la Première dame Sylvia Bongo Ondimba, accueillait en grande pompe perron du palais rénovation de Libreville,les membres du gouvernement de la première équipe du premier ministre Julien Nkoghe Bekalé à l’occasion du tout premier conseil des ministres post-crise. Une scène inédite et déroutante, car jamais dans l’histoire institutionnelle gabonaise une Première dame n’avait usurpé de facto le rôle protocolaire et politique du chef de l’État.
Si cette séquence, sans doute gênante pour certains, semble avoir mystérieusement disparu des archives officielles, elle persiste avec vigueur dans la mémoire collective. Comment expliquer cette posture de Sylvia Bongo Ondimba, alors que nul mandat électif ou officiel ne l’autorisait à de telles prérogatives ? Cette prise d’initiative pose aujourd’hui, avec le recul du temps, une question cruciale : cette femme était-elle réellement une simple accompagnatrice ou tenait-elle en réalité les rênes de l’État en lieu et place d’un président devenu l’ombre de lui-même ?
Le déni face à l’évidence

Face aux accusations publiques de gestion occulte des affaires de l’État, Sylvia Bongo Ondimba clame aujourd’hui son innocence. Elle rejette toute implication dans les prises de décisions stratégiques de la République, malgré les signaux publics qui, à l’époque, montraient une implication indéniable. Son fils, Noureddin Édouard Bongo Valentin, alors propulsé au poste aussi prestigieux que controversé de Coordonnateur général des affaires présidentielles, nie lui aussi avoir exercé une quelconque autorité effective. Pourtant, nombreux sont les Gabonais qui se souviennent de son omniprésence au sommet de l’État, dans les coulisses comme dans l’avant-scène.
Le paradoxe est saisissant : à l’ère numérique, où la mémoire sociale est devenue instantanée, fluide et résistante à l’oubli, ces dénégations paraissent tout bonnement surréalistes. Dans les quartiers, dans les salons, dans l’administration et jusque dans les sphères diplomatiques, chacun savait qui nommait qui, et sous l’égide de quelle influence opaque.
Une toile d’influences et de connivences

Les témoignages sont nombreux. Ils évoquent les ascensions fulgurantes de certains hommes de l’entourage présidentiel, souvent liés par des liens d’amitié ou de loyauté personnelle à Noureddin Bongo Valentin. On cite par exemple Mohamed Ali Saliou, officiellement directeur adjoint de cabinet, mais que plusieurs sources considéraient comme le véritable directeur de cabinet officieux, agissant dans l’ombre avec une autorité sans partage sous le regard de son frère cadet Abdoul Océni Ossa, meilleur ami de nourredine et responsable de son ascension à ce poste.
Autre figure centrale : Ian Ghislain Ngoulou, bras droit de Noureddin Valentin, connu pour avoir imposé son cercle dans les arcanes de l’appareil étatique. C’est à sa recommandation que l’un de ses proches fut nommé à la tête de la direction de la dette, un poste stratégique dans la gestion financière de l’État. Les deux hommes, selon des sources crédibles, étaient réputés pour leurs escapades nocturnes tapageuses au « Molokaï », un établissement librevillois haut de gamme portant le nom du mythique village du regretté musicien congolais Papa Wemba, et appartenant à ce même directeur de la dette.
Le peuple gabonais, ni amnésique ni dupe

Cette imbrication intime entre affaires publiques et intérêts privés laisse un goût amer à une population qui, aujourd’hui encore, paie le prix d’un système de gouvernance fondé sur les privilèges, le favoritisme et l’opacité. Qu’ils soient en exil, mis en examen ou dans l’attente de procès équitables, Sylvia Bongo et son fils semblent vouloir réécrire l’histoire à leur avantage. Mais au Gabon, les citoyens ne sont ni naïfs ni oublieux.
Tenter de faire croire à une innocence absolue revient à insulter l’intelligence collective d’un peuple meurtri, mais désormais éveillé. Il ne suffit plus de nier : il faut répondre. Et la vérité, elle, attend toujours de sortir de l’ombre.


