De la CENI à la rébellion : l’itinéraire trouble d’un homme propulsé par les églises
Kinshasa, 6 février 2025 – Il y a près de dix ans, en octobre 2015, Corneille Nangaa était désigné président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) par les confessions religieuses de la République démocratique du Congo (RDC). À l’époque, peu de voix s’élevaient pour contester ce choix, qui devait encore être validé par l’Assemblée nationale. Pourtant, aujourd’hui, l’ancien arbitre des élections congolaises est un homme en cavale, accusé de trahison et de collusion avec le M23, groupe rebelle soutenu par le Rwanda et responsable de la déstabilisation de l’est du pays.
Comment cet homme, jadis jugé digne par les plus hautes autorités ecclésiastiques, en est-il venu à rejoindre une insurrection armée ? La révélation fracassante du pasteur Denis Lessie, hier 5 février 2025, jette une lumière crue sur les liens souterrains entre la sphère religieuse et la montée d’un personnage devenu l’un des ennemis de l’État congolais.
Un choix controversé, des racines spirituelles profondes

La désignation de Corneille Nangaa à la tête de la CENI en 2015 ne relevait pas du hasard. Selon les règles établies, c’étaient les confessions religieuses qui avaient la lourde responsabilité de proposer un candidat pour ce poste stratégique. Le consensus s’était alors porté sur lui, un technocrate de l’ombre, présenté comme un homme d’expérience et de neutralité. Mais à y regarder de plus près, ce choix portait déjà en lui les germes d’une dérive inquiétante.
Des figures influentes du paysage religieux congolais avaient plaidé en faveur de son ascension, en dépit des soupçons d’alignement sur le régime de Joseph Kabila. Selon plusieurs sources internes aux milieux ecclésiastiques, certaines églises avaient vu en Nangaa un garant de la continuité du pouvoir, voire un exécutant discret des volontés politiques dictées en coulisses.
Les révélations du pasteur Denis Lessie : l’église complice d’un « projet caché » ?

Hier, Denis Lessie, figure médiatique controversée de la scène religieuse congolaise, a lâché une bombe qui n’a pas fini de secouer les milieux politiques et religieux du pays. Dans une intervention musclée, il a affirmé que la désignation de Nangaa en 2015 n’avait pas été uniquement guidée par des considérations électorales. « Certains d’entre nous savaient que cet homme n’était pas là par hasard », a-t-il déclaré. « Les confessions religieuses ont joué un rôle central dans son ascension, mais certains avaient déjà des agendas cachés. Aujourd’hui, la vérité éclate : celui que nous avions placé pour garantir la transparence s’est retourné contre la nation. »
Les propos de Lessie, souvent prompt à des déclarations spectaculaires, ne sont pourtant pas à balayer d’un revers de main. Depuis plusieurs mois, les soupçons autour de Nangaa ne cessent de s’accumuler. Déjà critiqué pour sa gestion controversée de la CENI et son rôle dans le report des élections sous Kabila, il est désormais accusé de soutenir activement les rebelles du M23, qui sèment la terreur à l’est de la RDC.
Du sanctuaire au champ de bataille : comment Nangaa est-il devenu un ennemi de la RDC ?

Les investigations menées par nos sources révèlent un itinéraire étonnant. Après avoir quitté la CENI en 2019, Nangaa a progressivement disparu des radars politiques, avant de réapparaître sous un tout autre visage. Selon des rapports sécuritaires récents, il aurait noué des contacts avec des groupes armés opérant dans l’est du pays, notamment le M23.
Pour nombre d’observateurs, cette trahison trouve ses racines dans les compromis qui ont marqué son accession au pouvoir. En 2015, des leaders religieux, conscients des tensions politiques à venir, avaient misé sur Nangaa pour maintenir un semblant de stabilité. Mais ces calculs se sont retournés contre eux : en légitimant son pouvoir, ils ont permis à un homme aux ambitions troubles de se frayer un chemin jusqu’aux forces qui menacent aujourd’hui la souveraineté de la RDC.
Le silence gêné des confessions religieuses

Depuis les révélations de Denis Lessie, aucune des principales confessions religieuses du pays n’a officiellement réagi. Pourtant, cette omerta ne fait qu’alimenter les interrogations. Comment ces institutions, censées incarner une morale irréprochable, ont-elles pu se tromper à ce point dans leur choix ? Pire encore, certains dignitaires religieux savaient-ils déjà, en 2015, que Nangaa était une bombe à retardement ?
L’histoire de la RDC regorge de figures politiques qui ont basculé dans l’opposition armée après avoir été portées par le système qu’elles servaient. Mais le cas de Corneille Nangaa est unique en son genre : désigné par l’Église pour être le garant du processus électoral, il se retrouve aujourd’hui dans le camp des destructeurs du pays.
L’heure est venue d’exiger des comptes. Les confessions religieuses, qui ont joué un rôle central dans son ascension, doivent expliquer comment elles ont pu se tromper à ce point. Et surtout, elles doivent prouver qu’elles ne sont pas, encore aujourd’hui, complices d’un jeu plus vaste où se joue l’avenir de la RDC.