Par la Rédaction d’Africacoeurnews
Depuis l’annonce fracassante de Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), quant à sa bascule dans l’opposition armée sous la bannière de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), la République démocratique du Congo (RDC) est secouée par une vive controverse. Dans l’opinion publique et sur les réseaux sociaux, un parallèle est rapidement tracé avec le passé de Jean-Pierre Bemba, ancien chef du Mouvement de Libération du Congo (MLC), qui avait lui aussi pris les armes avant d’intégrer le jeu politique institutionnel.
Mais cette comparaison est-elle pertinente ? Quelles sont les différences fondamentales entre les deux hommes et leurs parcours ?Jean-Pierre Bemba : un chef rebelle devenu homme d’ÉtatJean-Pierre Bemba s’est imposé sur la scène congolaise au tournant des années 2000 à la faveur de la Deuxième Guerre du Congo. À la tête du MLC, un mouvement politico-militaire soutenu par l’Ouganda, il contrôle une partie du nord du pays et participe à l’effondrement du régime de Laurent-Désiré Kabila. Contrairement à d’autres factions rebelles, le MLC se dote d’une administration et prétend à une gouvernance alternative.

L’accord de Sun City en 2002 ouvre la voie à son intégration dans le processus de transition. Bemba devient l’un des vice-présidents de la RDC sous Joseph Kabila et s’impose comme un acteur politique majeur. Son ascension culmine avec la présidentielle de 2006, où il affronte Kabila avant d’être écarté dans un climat de tensions. Son exil, son arrestation par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, puis son acquittement, achèvent de redessiner son image : de chef rebelle, il devient un leader politique de premier plan, aujourd’hui vice-Premier ministre en charge de la Défense sous Félix Tshisekedi.
Corneille Nangaa : de l’arbitrage électoral à la rébellion armée

À la différence de Bemba, Corneille Nangaa n’a jamais été un acteur militaire avant son engagement récent auprès du M23 et de l’AFC. Technocrate, il accède à la tête de la CENI en 2015 et organise l’élection controversée de 2018, qui porte Félix Tshisekedi au pouvoir dans des conditions contestées. L’opinion publique congolaise garde de lui l’image d’un homme ayant joué un rôle clé dans ce processus électoral opaque, bien que lui-même clame aujourd’hui avoir été instrumentalisé.
Son virage vers la rébellion en 2023-2024 marque un changement radical. Contrairement à Bemba, qui s’inscrivait dans un schéma de contestation du pouvoir via une occupation territoriale, Nangaa semble s’intégrer dans une dynamique régionale, avec un soutien présumé du Rwanda via le M23. Il revendique vouloir renverser le régime de Tshisekedi, arguant d’une mal-gouvernance généralisée et d’un « complot contre l’Est du pays ».
Une comparaison trompeuse ?

Si l’on observe les trajectoires, les motivations et les soutiens, il apparaît que la comparaison entre les deux hommes a ses limites : Origine de l’engagement armé : Bemba entre en rébellion dans un contexte de guerre généralisée, dans un cadre où plusieurs acteurs luttaient pour le contrôle du territoire. Nangaa, lui, opte pour la rébellion après une carrière dans l’administration, ce qui brouille son positionnement et renforce les soupçons d’une instrumentalisation externe.
Légitimité politique : Bemba a construit son leadership à travers un parti-mouvement (MLC), qui jouait aussi un rôle de gouvernance locale dans les zones sous son contrôle. Nangaa, lui, ne s’est jamais forgé un socle politique propre avant de rejoindre l’AFC.

Perception populaire : Si Bemba a pu bénéficier d’un certain soutien populaire, notamment à l’Ouest du pays, Nangaa souffre d’une image négative héritée de son passage à la CENI, où il était perçu comme un maillon du système contesté de Tshisekedi.
Rôle des soutiens étrangers : Le MLC de Bemba bénéficiait du soutien de l’Ouganda dans une configuration de guerre régionale, mais il restait un acteur indépendant à la table des négociations. Nangaa, en revanche, s’aligne avec le M23, un groupe largement perçu comme une extension des intérêts rwandais, ce qui alimente le rejet national de son engagement.
Vers une issue différente ?

L’histoire a montré que les chefs rebelles congolais, lorsqu’ils réussissent à s’imposer militairement ou politiquement, finissent par être intégrés dans le système. Bemba en est l’exemple parfait, tout comme d’autres figures comme Mbusa Nyamwisi ou encore les ex-seigneurs de guerre du RCD-Goma. Mais la position de Nangaa est plus fragile : son manque de capital politique interne et son alignement avec des forces extérieures hostiles à Kinshasa pourraient réduire ses marges de manœuvre.
La suite des événements dépendra de la capacité du régime de Tshisekedi à contenir cette nouvelle menace, mais aussi de la manière dont l’opinion publique congolaise jugera cette tentative de rébellion. Car si la figure du chef rebelle reconverti en homme d’État existe dans l’histoire congolaise, elle ne fonctionne que lorsque l’ancrage national et l’adhésion populaire sont suffisants. Or, sur ce point, Corneille Nangaa semble partir avec un sérieux handicap.


