Sous le prisme de Mamadou Koulibaly
« Dans une déclaration cinglante, Mamadou Koulibaly, économiste et ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, a brisé le silence pour livrer une critique acerbe sur l’héritage politique de Laurent Gbagbo. Celui que l’histoire ivoirienne décrit tour à tour comme un panafricaniste engagé ou un chef d’État controversé, est accusé par Koulibaly d’avoir, paradoxalement, renforcé la mainmise française sur la Côte d’Ivoire.
Un “meilleur défenseur” de la France ?

Koulibaly, connu pour son franc-parler, dresse une liste précise et accablante des actions de Gbagbo qu’il qualifie de « cadeaux » à la France. Sous son mandat, le président aurait renouvelé sans appel d’offres les concessions de l’eau et de l’électricité à Martin Bouygues, octroyé le terminal à conteneurs du port d’Abidjan à Bolloré, et confié la téléphonie à France Télécoms. Des choix qu’il décrit comme des « arrangements de gré à gré », marquant une dépendance accrue aux multinationales françaises.
Pour Koulibaly, les exemples abondent. L’élaboration et la gestion du fichier électoral ont été confiées à Sagem, les sondages électoraux à la Sofres, et même la campagne présidentielle de Gbagbo aurait été pilotée par Stéphane Fouks d’Euro RSCG, avec un financement en partie assuré par Bolloré. « Gbagbo Laurent a offert la Côte d’Ivoire à la France », assène-t-il, une affirmation qui tranche avec l’image d’un homme politique présenté comme un champion de la souveraineté africaine.
Une ingérence facilitée

Le paradoxe, souligne Koulibaly, réside dans le double discours de l’ancien président. Si Gbagbo s’est régulièrement insurgé contre l’ingérence française en Afrique, ses actes, eux, auraient conforté la domination économique et stratégique de Paris en Côte d’Ivoire. Il rappelle avec ironie que dans son programme de campagne de 2010, Gbagbo défendait le FCFA, allant même jusqu’à proposer d’élargir cette monnaie à des puissances régionales comme le Ghana et le Nigeria.
Cette critique prend une tournure particulièrement amère dans le contexte de la crise postélectorale de 2010-2011. Selon Koulibaly, Gbagbo aurait accepté que sa victoire soit arbitrée par un panel de chefs d’État africains, avant de rejeter les conclusions qui le désignaient perdant face à Alassane Ouattara. Une posture que l’économiste considère comme la trahison ultime des principes constitutionnels ivoiriens.
Panafricanisme ou pragmatisme ?
L’analyse de Mamadou Koulibaly soulève des questions sur le véritable héritage de Laurent Gbagbo. Était-il un leader panafricain victime d’un système qu’il n’a pu combattre ? Ou un pragmatique ayant choisi, consciemment ou non, de renforcer les liens avec l’ancien colonisateur ? Cette vision contraste fortement avec celle de ses partisans, qui voient en lui un martyr politique ayant résisté aux pressions extérieures.
Le portrait dressé par Koulibaly ne manque pas de nuances, bien qu’il soit implacable. Il révèle les contradictions d’un leader souvent encensé pour son combat contre les ingérences étrangères, mais dont les décisions auraient paradoxalement consolidé l’influence française.
Au-delà des polémiques, cette critique rappelle une vérité amère : le panafricanisme reste un idéal souvent compromis par les réalités du pouvoir et les rapports de force internationaux. À travers Laurent Gbagbo, c’est peut-être tout un système de dépendances structurelles et de contradictions politiques que Koulibaly met en lumière. Un miroir tendu à l’Afrique, dans sa quête inachevée d’émancipation.